Poupées russes -LEJ-
On ne présente plus les LEJ, ces trois jeunes musiciennes, qui s'étaient faites connaître sur Youtube, lors de l'été 2015 et 2016 en interprétant des reprises des tubs de l'année. Après quelques mois d'attente, elles ont sorti leur nouvel album « poupées russes », composé et interprété par elles. Et ça en jète !
Une ode au langage
Poupées russes est un album complètement composé en français et ça fait du bien ! On sent dans chacune de leurs compositions un réel goût pour le langage et les jeux de mots. Il y a la volonté de chercher le mot juste, celui qui rime, celui qui résonne avec le précédent (sur le principe de la paronomase), la volonté de créer des assonances et de rythmer les phrases dans les couplets. Bref, elles usent et abusent (jamais en mal) de toutes sortes de figures de style et je me régale d'entendre une telle recherche et élaboration des paroles, ce qui n'est plus tant d'usage dans nos classiques de la chanson française actuelle, disons le...
Mais ce qui me plaît tout particulièrement dans leurs paroles c'est leur façon de mêler des références très diverses, sans s'enfermer dans aucune catégorie, ni aucun jugement de style. Elles sont des poètes 2.0 en quelques sortes. Elles écrivent précisément dans leur temps, sur leur temps, avec un vocabulaire riche de leur génération et des précédentes. Pour valeur indicative, elles évoquent aussi bien le mythe d'Orphée et d'Eurydice (mythologie grecque) que le dragon de Khaleesi (game of thrones). Voilà. Et je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas compatible, après tout.
Elles attestent justement d'une liberté d'expression, en dehors des attitudes ou des habitudes de langage (qui voudraient que les références culturelles et le vocabulaire riche ou soutenu ne soit utilisé que par une certaine élite dans un contexte sérieux ou intellectuel ; tandis que les habitudes de langage des jeunes générations sont le plus souvent blâmées pour leurs déformations de langage, leur vulgarité ou leur légèreté). Les LEJ nous montrent que le français est une langue plus complexe, qu'elle évolue dans une époque et avec une histoire. Les paroles de leurs chansons ne sont que plus riches de cette diversité de langage.
Des références musicales variées
Lucie, Elisa et Juliette ont suivi une formation au conservatoire, et on sent clairement les influences lyriques et classiques de cet enseignement. Mais de la même manière que pour les paroles de leur album, les LEJ ne s'enferment pas dans un style musicale. Par moment, les mélodies sont rythmées, modernes, dansantes, joyeuses, ou bien parlées, rapées, colériques ou mélancoliques. Il y a cette même variété musicale, composé d'une complexe association de références récentes, contemporaines mais également plus classiques, de la même manière que dans leur paroles.
La composition musicale reste relativement sobre et élégante : un unique instrument de musique, le violoncelle, est quelques fois accompagné de percussions, et principalement des deux voix d'Elisa et Lucie.
Des paroles mystérieuses
J'ai eu un réel coup de coeur pour cet album en écoutant la Marée. Ca a été une sorte de déclic. J'avais écouté Acrobate ou La nuit sans tant de conviction, mais des titres comme La dalle, Ego, Dis Siri, la Marée ou l'époux d'un soir, me plaisent beaucoup plus.
C'est le genre de titres qu'on écoute avec une attention particulière et à chaque écoute, on découvre un nouveau sens aux paroles. Elles utilisent de manière récurrente la métaphore : et on peut ainsi saisir plusieurs interprétations dans une chanson. Le sens « caché » si l'on peut dire, est souvent engagé et lourd de significations. Ainsi la dalle évoque le harcèlement de rue, les poupées russes l'amitié et la Marée, le Bataclan.
La Marée est un titre très complexe parce qu'il est à la fois très poétique et rempli de suggestions et d'interprétations possibles sans qu'aucune ne nous soit imposé. Il évoque ainsi à la fois la situation des migrants, les évènements du Bataclan, et la peur que suscite de telles situations. Et à chaque fois que j'écoute cette musique, j'ai le sentiment que c'est une sorte de langage secret, une sorte de bouteille à la mer avec un message, bercée par une mélodie mélancolique et triste.