Une Vie de Simone Veil
Dimanche 1er juillet 2018, Simone Veil (décédée le 30 juin 2017) est entrée au panthéon aux côtés de son mari Antoine Veil. Son autobiographie, que j'avais trouvé au hasard dans une brocante, trainait sur une étagère de ma bibliothèque.
Une vie est un livre fort écrit par une femme forte, ce genre de livres qui nous laisse éperdument admiratif du personnage d'autant plus incroyable qu'il en est aussi l'écrivain.
Témoin de la Shoah
Déportée dans les camps de concentration à 16 ans, la vie de Simone Veil, comme celles de toutes les victimes du nazisme, a été profondément marquée par l'horreur et la monstruosité humaine qui régnait dans les camps.
Simone Veil raconte comment son enfance paisible a été mis à mal pendant l'occupation à partir de 1940, vivant dans la crainte et la lucidité qu'ils n'échapperaient pas à la déportation. La famille de Simone Veil était juive non pratiquante et en 1944, elle se fait arrêter par la police nazie. Elle raconte ensuite les terribles séparations des membres de la famille, les trajets et l'enfer une fois à Bergen-Belsen des camps de concentration alors qu'elle avait échappé de si peu aux fours crématoires.
On connaît déjà cette histoire, les horreurs commises par nazis, on l'a étudiée au lycée, le monde d'aujourd'hui en est maintenant loin. Je n'aime pas voir des films ou lire des livres sur la déportation et les camps de concentration parce qu'ils me font mal, qu'ils ont absolument tout de la plus formidable dystopie, et lorsqu'ils se terminent, je me retrouve alors confronté à la réalité, et elle est insupportable. C'est une réalité qui me rend triste, qui met à mal le sens de l'humanité, ce qui me blesse aussi d'une certaine manière. Chacun a sa réaction face à la Shoah, l'important est simplement de se sentir concerné.
Le temps passe et éloigne de plus en plus ces événements. Ils appartiennent désormais à un autre siècle, à une génération passée. Penser qu'un témoin aussi lucide que Simone Veil a maintenant disparue ne fait que renforcer ce gouffre entre les générations. Nous, les nouvelles générations, ne sommes au fond qu'un auditoire passif qui prêtons une oreille attentive à ce récit. J'ai portant la crainte que l'oreille attentive s'estompe petit à petit. Qu'elle se laisse gagner par une sorte de lassitude, à force d'estimer qu'elle connait déjà l'histoire, que les choses soient si loin qu'elle ne se sente plus concernée.
C'est pour cette raison que je trouve important de lire des livres ou de voir des films sur l'Holocauste. Pour ne pas être uniquement une oreille mais pour être aussi un fantôme de plus parmi tous ces corps meurtris dans les camps de concentration. Un fantôme avec un regard qui ressent ce qu'il s'est passé. Si c'est un homme de Primo Levi est le livre le plus marquant que j'ai lu à ce propos. C'est ce qui fait la force de la littérature : la procuration nous plonge à l'intérieur d'un monde mental. Avec Primo Levi, j'ai eu l'impression de vivre les camps de concentration.
Une vie ne porte pas uniquement sur les camps de concentration, loin de là. C'est un passage qui constitue une quart du livre, tout au plus. Le chapitre suivant s'intitule « revivre ». Le reste du livre raconte l'engagement de Simone Veil dans la vie politique et sur la scène européenne.
La Shoah reste présente, inoubliable et inaltérable dans chacun de ses engagements. Elle s'est profondément impliquée dans les questions de devoirs de mémoires, membre fondateur du mémorial de la Shoah, mais aussi dans son merveilleux discours pour rendre hommage aux Justes de France, ces anonymes français qui aidaient les juifs sous l'occupation.
L'engagement pour la justice
Une vie est un livre écrit avec sérénité. Le style d'écriture est élégant et simple. Pas de persuasion, pas de grandiloquences, pas d'état d'âmes ; Simone Veil y décrit honnêtement le parcours qu'a été sa vie. C'est un témoignage sincère. Une vie parmi les vies. Simone Veil y apparaît lucide et bienveillante. J'interprète son engagement politique comme un éternel combat pour le bien commun, une lutte pour la justice.
De formation magistrate, ses combats ont été nombreux. D'abord pour ses études alors que tout le monde autour d'elle lui incombait d'y renoncer puis, une fois magistrate, elle s'engage pour le sort des prisonniers dans la pénitencière, puis on lui propose le ministère de la santé, d'où son célèbre engagement pour la loi pour l'avortement, enfin elle s'engage dans la CEE, ancêtre de L'Union Européenne, tandis que le monde est en pleine guerre froide, convaincue que l'Europe est le moyen de réconciliation d'un monde fracturé. Elle a également été sénatrice et ses engagements les plus récents sont ceux pour les lois mémorielles, au mémoriel de la Shoah et auprès des Justes de France.
Le discours commence à 1 minute 20
Le combat pour la loi pour l'avortement
La loi Veil, dépénalisant l'avortement, a été voté le 17 janvier 1975. Cela n'a pas été chose facile de faire passer une telle loi auprès du gouvernement en 1975 elle l'a obtenue grâce à une détermination et une patience inébranlables. Simone Veil avait alors travaillé avec des personnalités comme Gisèle Halimi, militante depuis des années pour l'avortement. Gisèle Halimi est une avocate qui avait obtenue l'acquittement en 1972 d'une jeune fille poursuivie pour avortement alors qu'elle avait été violée.
Simone Veil s'est battue pour le droit à l'avortement avant tout parce que la situation d'illégalité avait des répercussions physiques et psychiques terribles pour les femmes. La France était dans une situation de crise. L'avortement illégal n'était pas une exception suffisamment rare pour que la situation puisse continuer dans l'illicite.
Elle s'est toujours battue pour l'égalité homme-femme.
« Avec l'âge, je suis devenue de plus en plus militante de leur cause {les femmes}. Paradoxalement peut-être, là aussi, je m'y sens d'autant plus portée que ce que j'ai obtenu dans la vie, je l'ai souvent obtenu précisément parce que j'étais une femme. À l'école, dans les différentes classes où j'ai pu me trouver, j'étais toujours le chouchou des professeurs. À Auschwitz, le fait que je sois une femme m'a probablement sauvé la vie puisqu'une femme pour me protéger m'avait désignée pour rejoindre un commando moins dur que le camp lui-même. Si l'existence ne m'a guère épargnée, j'ai, en revanche, croisé bien des gens qui m'ont protégée. Tout cela pour dire que ma position actuelle ne saurait être interprétée comme une revanche personnelle. Elle tient en une seule phrase : les chances pour les femmes, procèdent trop du hasard, et pas assez de la loi ou plus généralement de la règle du jeu. Réciproquement, je suis convaincue que la société ne peut que bénéficier de l'apport spécifique, pour elle, de la réduction des inégalités dont souffrent les femmes, plus en France du reste que dans les autres pays de l'Union, car chez nous les directives européennes sont, dans ce domaine, allègrement méconnues. »