- L'Aubette 1928 -

Le premier article : l'Aubette

Voilà, il faut bien un premier article pour inaugurer ce projet. Cela fait presque une année que cette idée germe dans un coin de ma tête. Après trois ans à l'école des Beaux-Arts, le milieu de l'art contemporain commençait enfin à me devenir familier. J'ai maintenant pris l'habitude de me tenir au fait des dernières expositions et, à force d'écrire des journaux de bord un brin éclectiques, je voulais pouvoir donner une forme de consistence à ces expériences artistiques et à ces lieux visités. J'espère pouvoir le faire sans prétention, en évitant l'aspect déictique ou pompeux qui souvent tente, à mal, de « médiatiser » le milieu artistique. Paradoxalement, et je ne crois pourtant pas que ce soit incompatible, j'espère ne pas uniquement toucher ceux qui sont déjà familiers à ce milieu. Assez parlé de mes projets. Venons en fait. L'Aubette.

L'Aubette 1928, une composition du sol au plafond

Le choix de Hans Jean Arp, Sophie Taeuber Arp et Theo Van Doesburg est à la fois d'une grande sobriété et d'une grande efficacité.

Pas de fioritures, pas d'ornementation ni d'arabesque. Mais des lignes, des carrés et des obliques, simplement habillent les salles. Il faut préciser que cette composition date de 1926, et même si pour certains visiteurs, la composition peut leur sembler relativement ordinaire -on a déjà vu des carrés de couleurs, on a déjà vu pire d'ailleurs-, ces artistes se situaient dans une réelle radicalité pour leur époque. En 1926, les strasbourgeois qui venaient aux réceptions dans l'Aubette, eux, avaient rarement vu de simples carrés de peinture monochromes agencés pour recouvrir une salle. C'est bien pour cette raison d'ailleurs que ce décor est ensuite recouvert puis partiellement détruit en 1938. Et comme bien sur, on a fini par réaliser l'erreur commise et à la regretter, des travaux de reconstitution ont émergés dès les années 1960. Les trois salles aujourd'hui visibles ne sont donc pas les originaux, mais des reconstitutions.

On a souvent tendance à affirmer que les artistes sont des génies, qu'ils sont en avance de leur temps, mais come l'explique Hannah Gadsby dans Nanette {https://www.madmoizelle.com/hannah-gadsby-nanette-netflix-941685} même s'ils peuvent faire preuve d'une grande originalité et d'une grande radicalité, ils le font toujours en se situant précisément dans leur époque, dans les mouvements artistiques qui émergent autour d'eux et qui les influencent inéluctablement. Ainsi, en 1926, c'était l'éveil de l'art abstrait (Mondrian {https://www.moma.org/collection/works/80160} ), 

L'Aubette 1928, un trésor inconnu.

L'Aubette est un lieu situé en plein centre de Strasbourg, sur la fameuse place Kleber et pourtant inconnu de la majorité des alsaciens. Mon grand-père lui même, alsacien depuis la nuit des temps, ignorait complètement ce lieu jusqu'à ce que je lui en parle. C'est donc ma professeur d'histoire des arts qui m'a fait découvrir l'Aubette, lors d'un cours sur le dada et l'art abstrait.

Cet été, de retour chez mes grand-parents, j'ai donc tenu à y faire un tour. L'Aubette, très simplement, est constitué de trois salles : le ciné-bal, la salle des fêtes, le foyer-bar et d'un escalier. À priori, il s'agirait initialement de simples salles de réception. Mais c'est l'aménagement qu'ont réalisé Hans Jean Arp, Sophie Taeuber Arp et Theo Van Doesburg qui est magnifique et qui fait que cette salle des fetes est bien trop singulière pour qu'on puisse encore y tenir des soirées. Il ne reste plus qu'à dévorer le décor des yeux.

Comme je le disais, je trouve très étonnant que cet endroit soit autant inconnu auprès des strasbourgeois et du public. Cela ne le dessert pas, au contraire. J'apprécie d'autant plus la découverte d'un lieu lorsque j'en ai le privilège et une certaine forme d'exclusivité. J'ai donc choisi d'écrire cet article pour que d'autres puissent avoir le plaisir de découvrir cette petite pépite en pleine lumière.


de dada (Sophie Taeuber Arp {https://www.musee-orangerie.fr/fr/evenement/dada-africa-sources-et-influences-extra-occidentales}) et des suprématies russes (Kasimir Malevich {https://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-monochrome/ENS-monochrome.html}) et on comprend combien Hans Jean Arps, Sophie Taeuber Arp et Theo Van Doesburg s'inscrivaient précisément dans leur temps.

Ce qui est particulièrement spécifique à ce lieu, c'est la nette volonté qu'avaient les artistes de plonger le visiteur à l'intérieur même d'un tableau. Le tableau devient espace. La peinture, les couleurs inondent les murs, parfois même les sols, les fenêtres, les lumières.

C'est une réelle expérience d'appréhender un lieu entier comme une explosion de couleurs plutôt qu'une surface délimitée de laquelle on voit les bords souvent renforcés de cadres massifs.

J'ai pourtant habituellement un peu de mal avec les oeuvres trop géométriques, monochromes, desquelles la sobriété et l'exactitude me semblent trop froides. C'est un avis purement personnel, mais j'apprécie mille fois plus l'Aubette qu'une toile de Mondrian. Si l'art était du pétrole, je reprocherais aux toiles de Mondrian de ne pas être suffisamment raffinées. Les éléments sont trop purs : les lignes droites et les couleurs primaires. Tandis que dans l'Aubette, Theo Van Doesburg a intégré les diagonales (ce que je trouve d'une grande intelligence car ces formes au mur résonnent pour moi très justement avec les charpentent des maisons alsaciennes) et les couleurs sont à la fois vibrantes et nuancées, les billes de néon ajoutent un aspect pétillant et le parquet apporte une matière et une tonalité chaude à l'espace.

Voilà ce que j'ai à dire de ce lieu : un véritable délice ! L'entrée est gratuite, le monsieur du musée adorable, je conseille à quiconque d'aller faire un tour à l'Aubette, cela prend un quart d'heure tout au plus, et on a les yeux remplis pour la journée !

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